mercredi 27 octobre 2010

SOLIDUS


Au cours d’un dîner, au détour d’un succulent apéritif, Elias affirma qu’il n’existe pas de réelle solidarité ivoirienne même s’il est de coutume de dire que les africains sont solidaires, et donc par syllogisme, que les ivoiriens le sont également. Mal lui en prit. Une partie des convives prirent cette assertion pour une offense personnelle. S’en suivirent des débats houleux, heureusement sans violence, pendant lesquels chaque camp, les pros Elias et les antis Elias défendirent leur position en faisant appel à la sémantique, abondamment assaisonnée de zeste d’émotion.

Elias avait en effet prit le risque de dire que dans certaines sociétés occidentales, dites individualistes, la solidarité s’exprime réellement, le plus souvent par un acte volontaire, sincère, sans relative pression morale issue des traditions, du clan ou de l’ethnie ; à la différence de la nôtre. Cette assertion de « l’école de pensée Eliastique » trouve une justification dans l’exemple suivant, qui est loin d’être isolé : en 2004 en France, après la violente tempête qui a occasionné d’importants dégâts matériels, le charpentier d’une commune sinistrée a pendant trois semaines, de 5h30 à 20h00, offert gracieusement ses services aux populations en détresse en réparant leur toiture. En outre, « l’école de pensée Eliastique » met en perspective le fait que cette solidarité, sous certaines formes, a même été valorisée par l’élaboration d’un cadre fiscal adéquat.

Les convives qui ne partageaient pas cette thèse s’arc-boutaient sur des exemples qui demeuraient significatifs pour eux :

- Les ivoiriens qui ont un emploi s’occupent de plusieurs membres de leur famille ;
- Les cadres des villages se cotisent régulièrement à l’occasion du décès d’un des leurs ;
- Dans certains quartiers les voisins s’entraident en allant jusqu’à partager les condiments pour la cuisine.

Cette bataille rangée n’offrait hélas aucune perspective d’armistice. Fort heureusement, l’un des invités qui n’était pas entre le zist et le zest offrit sa médiation et énonça ce qui suit :

- Sans faire appel à un traité de morale, la solidarité doit-elle procéder d’un pacte social prédéfini que l’individu suit par appartenance et obligation communautaire, même si le plus souvent il s’en plaint et s’endette pour y faire face ?
- N’avons-nous pas développé un « impôt social informel », bien loin de la solidarité, qui agit comme une lame de fond et qui déstructure l’équilibre financier de nos ménages ?
- La solidarité ivoirienne ne devrait-elle pas s’exprimer de la meilleure des manières à l’occasion par exemple des inondations survenues récemment à Abidjan ; quelle action de solidarité avez-vous personnellement initiée à cette occasion ?
- N’est-il pas temps de s’extirper des carcans de nos clichés et stéréotypes surannés afin de s’immerger dans une prospective débarrassée de l’épais brouillard de nos émotions?
- En définitive, Elias ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’ivoiriens solidaires ou d’occidentaux qui ne le soient pas. Je crois à mon humble avis que la société ivoirienne, qui s’individualise de plus en plus, gagnerait à développer une vraie solidarité active, individuelle ou collective, débarrassée de toute contrainte.

Un profond silence s’installa alors, les anges passèrent, la dinde rôtie pour ce dîner commença à refroidir….

En attendant le débat reste ouvert.