mercredi 26 mai 2010

Les compagnons de l’aventure 46


Un soir, à l’instar des belles soirées organisées autour d’un feu de bois dans nos villages, je me suis abreuvé à la source du savoir, à la lueur d’une bibliothèque vivante, à la source d’un compagnon de l’Aventure 46.

En mai 1946, un homme, tout nouveau député, arrive dans la classe de mon locuteur à Daloa et dit : « Mes enfants, travaillez bien, les meilleurs d’entre vous iront poursuivre leurs études en France l’année prochaine ». Cet homme, Houphouët-Boigny, prit un audacieux pari : celui de doter rapidement son pays en cadres compétents.

Cette décision qui procède d’une vision avant-gardiste ne s’est pas réalisée sans difficultés. En effet, dès son annonce, elle fut mal accueillie par les colons qui usèrent de tous les moyens pour la contrecarrer. Face à cette levée de bouclier, le gouverneur Latrille n’annule pas le projet mais le soumet à son supérieur hiérarchique basé à Dakar, capitale de l’AOF. Houphouët-Boigny dépêche alors Auguste Denise à Dakar pour plaider le dossier, puis au Ministère des colonies à Paris où sur ses instructions, Auguste Denise avance les arguments suivants : 1) Le député Houphouët-Boigny est prêt à réaliser son projet sans faire appel aux caisses de la colonie de Côte d’Ivoire. 2) Toutes les bourses seront prises en charge par le syndicat agricole africain (il présente séance tenante un relevé de compte bancaire du syndicat qui laisse apparaître un solde créditeur de sept millions de francs cfa). Devant de tels arguments, la réalisation du projet est autorisée.

De tous les Cercles de la colonie, les heureux élus convergèrent vers Abidjan. Cependant, le départ fut long à se dessiner : les colons achetèrent toutes les places à bord des bateaux successibles de les transporter ; les bateaux croisèrent alors au large d’Abidjan sans s’arrêter.

Face à cette situation préjudiciable pour ces filleuls, Houphouët-Boigny intervient à nouveau. Un bateau de guerre, la frégate F 707 baptisée « l’Aventure », est alors affrété pour le voyage vers la France. Le 22 octobre 1946 c’est le grand départ. Houphouët-Boigny fait accompagner « ses boursiers » au nombre de 148 (13 filles et 135 garçons) par deux tuteurs : l’instituteur APHING KOUASSI KOUADIO et le docteur Robert SALMON. Il dépêcha spécialement Daniel OUEZZIN COULIBALY à Marseille, pour préparer avec les autorités locales, l’arrivée de ses enfants africains.

Je ne pus m’empêcher alors de demander comment ces petits africains furent accueillis en France. Et la réponse me soulagea. Toutes les familles françaises voulaient les accueillir, les recevoir, partager avec eux le peu qu’ils avaient eux-mêmes au sortir de la seconde guerre mondiale.

Houphouët-Boigny venait de semer les graines qui ont produit dès l’indépendance de la Côte d’Ivoire, des ingénieurs, des médecins, des avocats, des diplomates, des magistrats, des enseignants…Il construisait également le premier réseau professionnel entre les compagnons de l’aventure et leurs amis de classe Français.

Je ne peux dans cette tribune relater tous les faits historiques et les anecdotes. Je vous recommande fortement le livre témoignage du Docteur Philippe K. COWPPLI-BONY, compagnon de l’aventure 46. Nous ne devons pas oublier ce pan important et décisif de notre histoire qui a produit, dès les premières heures de notre indépendance, d’illustres personnalités telles que : Abdoulaye SAWADOGO, Alcide DIOULO, Alphonse BISSOUMA TAPE, ANZOUAN Kakou, Bakary COULIBALY, BROU Marie-Thérèse (future épouse Houphouët-Boigny), Camille ADAM, Ernest BOKA, Gervais COFFIE, Jean KONAN BANNY, Jean-Baptiste PANGO, Joseph AKA ANGHUI
KEI Boguinard, Lancina KONATE, LOUA DIOMANDE, MEMEL FOTE…

Le Général DE GAULLE fut vraiment inspiré lorsqu’il affirmait : « Houphouët-Boigny est un cerveau politique de premier ordre ».