lundi 20 décembre 2010

50 piges. So what


50 piges. So what !

1960, année des indépendances ! Année charnière qui préfigurait une ère nouvelle et radieuse pour bon nombre de pays africains.

J’ai revu les images d’archive du défilé sur le pont Houphouët-Boigny à Abidjan. J’ai vu des populations dans des vêtements d’apparat impeccables, le torse bombé ; elles avaient fière allure.

Je me suis imaginé cet instant unique. Des festivités au son des grelots, des tam-tams et des balafons. Des festivités au son de « indépendance tcha tcha ». Des « bals poussière » au cours desquels, comme une complainte sur notre histoire, s’élevait vers le ciel la poussière de la mère Patrie. Ces bals laissaient surtout s’élever, libre comme la poussière, les espoirs des fils et filles de cette terre riche et généreuse. Que de souvenirs pour nos aînés qui se remémorent cette époque avec nostalgie et avec un brin d’émotion.

Oui 50 années ont passé comme un fleuve tumultueux et je ne peux m’empêcher de poser cette question : qu’avons-nous fait de notre indépendance ?

Le bilan mitigé après 50 ans d’indépendance est factuel et me laisse songeur. Je voudrais volontairement occulter les causes exogènes et jeter un regard sur les causes endogènes. Les causes qui nous collent à la peau, les causes qui mettent à nu nos propres incohérences et nos turpitudes.

En regardant du côté des dragons asiatiques, nous ne pouvons qu’être interpellés par l’exemple de Singapour.

Singapour qui, depuis toujours, a très peu de ressources naturelles. Oui Singapour, qui n’a pas encore fêté le cinquantenaire de son indépendance (indépendante depuis 1965) mais qui est aujourd’hui l’un des pays les plus développés et les plus prospères au monde.

Face à ce modèle de développement économique où la population dispose d'un niveau de vie parmi les plus élevés de notre planète, je constate que nous n’avons pas encore éradiqué la bilharziose.

Face à ce modèle où les services bancaires et financiers sont aujourd’hui des références au niveau mondial, je constate que malgré nos fabuleuses ressources en matières premières et humaines, nous demeurons des petits ouvriers, sans visage, de l’économie mondiale.

Face à ce modèle où les détournements sont presque inexistants et le cadre de vie aseptisé, je constate que le virus de la corruption a muté pour être dans nos sociétés multiformes, et mieux, que nous importons des déchets toxiques parce que les nôtres sont trop inoffensifs.

Aussi, à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire de nos indépendances, ai-je vécu un contraste saisissant. J’ai ressenti une émotion particulière, un sentiment ambivalent : j’avais envie d’être joyeux mais je n’y arrivais pas ! Les festivités n’avaient plus la même saveur.

J’ai noté l’étendue de notre retard. J’ai également noté les efforts colossaux que nous devons consentir pour relever les défis qui nous assaillent.

Pour l’avenir et pour un centenaire plus glorieux, il nous faudra nécessairement restaurer l’HOMME : restaurer l’Homme par une éducation et une formation de qualité, en lui inculquant des valeurs liées au respect, au travail et à la rigueur. Il nous faudra enfin privilégier le long terme dans toutes nos actions.

C’est bien beau d’avoir 50 piges. So what ?!

mercredi 27 octobre 2010

SOLIDUS


Au cours d’un dîner, au détour d’un succulent apéritif, Elias affirma qu’il n’existe pas de réelle solidarité ivoirienne même s’il est de coutume de dire que les africains sont solidaires, et donc par syllogisme, que les ivoiriens le sont également. Mal lui en prit. Une partie des convives prirent cette assertion pour une offense personnelle. S’en suivirent des débats houleux, heureusement sans violence, pendant lesquels chaque camp, les pros Elias et les antis Elias défendirent leur position en faisant appel à la sémantique, abondamment assaisonnée de zeste d’émotion.

Elias avait en effet prit le risque de dire que dans certaines sociétés occidentales, dites individualistes, la solidarité s’exprime réellement, le plus souvent par un acte volontaire, sincère, sans relative pression morale issue des traditions, du clan ou de l’ethnie ; à la différence de la nôtre. Cette assertion de « l’école de pensée Eliastique » trouve une justification dans l’exemple suivant, qui est loin d’être isolé : en 2004 en France, après la violente tempête qui a occasionné d’importants dégâts matériels, le charpentier d’une commune sinistrée a pendant trois semaines, de 5h30 à 20h00, offert gracieusement ses services aux populations en détresse en réparant leur toiture. En outre, « l’école de pensée Eliastique » met en perspective le fait que cette solidarité, sous certaines formes, a même été valorisée par l’élaboration d’un cadre fiscal adéquat.

Les convives qui ne partageaient pas cette thèse s’arc-boutaient sur des exemples qui demeuraient significatifs pour eux :

- Les ivoiriens qui ont un emploi s’occupent de plusieurs membres de leur famille ;
- Les cadres des villages se cotisent régulièrement à l’occasion du décès d’un des leurs ;
- Dans certains quartiers les voisins s’entraident en allant jusqu’à partager les condiments pour la cuisine.

Cette bataille rangée n’offrait hélas aucune perspective d’armistice. Fort heureusement, l’un des invités qui n’était pas entre le zist et le zest offrit sa médiation et énonça ce qui suit :

- Sans faire appel à un traité de morale, la solidarité doit-elle procéder d’un pacte social prédéfini que l’individu suit par appartenance et obligation communautaire, même si le plus souvent il s’en plaint et s’endette pour y faire face ?
- N’avons-nous pas développé un « impôt social informel », bien loin de la solidarité, qui agit comme une lame de fond et qui déstructure l’équilibre financier de nos ménages ?
- La solidarité ivoirienne ne devrait-elle pas s’exprimer de la meilleure des manières à l’occasion par exemple des inondations survenues récemment à Abidjan ; quelle action de solidarité avez-vous personnellement initiée à cette occasion ?
- N’est-il pas temps de s’extirper des carcans de nos clichés et stéréotypes surannés afin de s’immerger dans une prospective débarrassée de l’épais brouillard de nos émotions?
- En définitive, Elias ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’ivoiriens solidaires ou d’occidentaux qui ne le soient pas. Je crois à mon humble avis que la société ivoirienne, qui s’individualise de plus en plus, gagnerait à développer une vraie solidarité active, individuelle ou collective, débarrassée de toute contrainte.

Un profond silence s’installa alors, les anges passèrent, la dinde rôtie pour ce dîner commença à refroidir….

En attendant le débat reste ouvert.

mercredi 26 mai 2010

Les compagnons de l’aventure 46


Un soir, à l’instar des belles soirées organisées autour d’un feu de bois dans nos villages, je me suis abreuvé à la source du savoir, à la lueur d’une bibliothèque vivante, à la source d’un compagnon de l’Aventure 46.

En mai 1946, un homme, tout nouveau député, arrive dans la classe de mon locuteur à Daloa et dit : « Mes enfants, travaillez bien, les meilleurs d’entre vous iront poursuivre leurs études en France l’année prochaine ». Cet homme, Houphouët-Boigny, prit un audacieux pari : celui de doter rapidement son pays en cadres compétents.

Cette décision qui procède d’une vision avant-gardiste ne s’est pas réalisée sans difficultés. En effet, dès son annonce, elle fut mal accueillie par les colons qui usèrent de tous les moyens pour la contrecarrer. Face à cette levée de bouclier, le gouverneur Latrille n’annule pas le projet mais le soumet à son supérieur hiérarchique basé à Dakar, capitale de l’AOF. Houphouët-Boigny dépêche alors Auguste Denise à Dakar pour plaider le dossier, puis au Ministère des colonies à Paris où sur ses instructions, Auguste Denise avance les arguments suivants : 1) Le député Houphouët-Boigny est prêt à réaliser son projet sans faire appel aux caisses de la colonie de Côte d’Ivoire. 2) Toutes les bourses seront prises en charge par le syndicat agricole africain (il présente séance tenante un relevé de compte bancaire du syndicat qui laisse apparaître un solde créditeur de sept millions de francs cfa). Devant de tels arguments, la réalisation du projet est autorisée.

De tous les Cercles de la colonie, les heureux élus convergèrent vers Abidjan. Cependant, le départ fut long à se dessiner : les colons achetèrent toutes les places à bord des bateaux successibles de les transporter ; les bateaux croisèrent alors au large d’Abidjan sans s’arrêter.

Face à cette situation préjudiciable pour ces filleuls, Houphouët-Boigny intervient à nouveau. Un bateau de guerre, la frégate F 707 baptisée « l’Aventure », est alors affrété pour le voyage vers la France. Le 22 octobre 1946 c’est le grand départ. Houphouët-Boigny fait accompagner « ses boursiers » au nombre de 148 (13 filles et 135 garçons) par deux tuteurs : l’instituteur APHING KOUASSI KOUADIO et le docteur Robert SALMON. Il dépêcha spécialement Daniel OUEZZIN COULIBALY à Marseille, pour préparer avec les autorités locales, l’arrivée de ses enfants africains.

Je ne pus m’empêcher alors de demander comment ces petits africains furent accueillis en France. Et la réponse me soulagea. Toutes les familles françaises voulaient les accueillir, les recevoir, partager avec eux le peu qu’ils avaient eux-mêmes au sortir de la seconde guerre mondiale.

Houphouët-Boigny venait de semer les graines qui ont produit dès l’indépendance de la Côte d’Ivoire, des ingénieurs, des médecins, des avocats, des diplomates, des magistrats, des enseignants…Il construisait également le premier réseau professionnel entre les compagnons de l’aventure et leurs amis de classe Français.

Je ne peux dans cette tribune relater tous les faits historiques et les anecdotes. Je vous recommande fortement le livre témoignage du Docteur Philippe K. COWPPLI-BONY, compagnon de l’aventure 46. Nous ne devons pas oublier ce pan important et décisif de notre histoire qui a produit, dès les premières heures de notre indépendance, d’illustres personnalités telles que : Abdoulaye SAWADOGO, Alcide DIOULO, Alphonse BISSOUMA TAPE, ANZOUAN Kakou, Bakary COULIBALY, BROU Marie-Thérèse (future épouse Houphouët-Boigny), Camille ADAM, Ernest BOKA, Gervais COFFIE, Jean KONAN BANNY, Jean-Baptiste PANGO, Joseph AKA ANGHUI
KEI Boguinard, Lancina KONATE, LOUA DIOMANDE, MEMEL FOTE…

Le Général DE GAULLE fut vraiment inspiré lorsqu’il affirmait : « Houphouët-Boigny est un cerveau politique de premier ordre ».

vendredi 23 avril 2010

Vous avez dit marques?


Jeudi 21 janvier 2010, journal télévisé de CNN, l’actualité se focalise sur le rappel massif de véhicules de la marque Toyota. Oui Toyota, la grande marque automobile, premier constructeur mondial, réputé pour la qualité de ses produits. Malheureusement, ce jour là, un grain de sable qui s’était insidieusement glissé dans sa parfaite et pointue chaîne de production a ébranlé l’empire. Ce séisme, d’une forte magnitude, a engendré des répliques qui ont transcendé les usines et le siège de Toyota pour toucher tous les continents. D’une mer d’huile, l’empire se retrouve à naviguer dans une forte houle. L’image de qualité et de fiabilité qui s’est construite sur plusieurs décennies vient de prendre un coup…en quelques secondes.

Vendredi 22 janvier 2010, journal télévisé de TF1, je suis encore devant ma télé et cette fois j’en prends plein la..face. Le même écran cathodique me renvoie à une triste réalité qui à cet instant a vraiment dépassé nos frontières. Il est question de cybercriminels exerçant depuis (oh que c’est douloureux pour moi de l’écrire)…ma Côte d’Ivoire. Ils ont arnaqué un retraité français en lui soutirant toutes ses économies (150.000 euros). Excusez du peu !

Avec une image déjà bien écornée et pendant qu’elle essaie de se relever difficilement, et vlam ! Elle n’avait vraiment pas besoin de ça ! Une forte audience - un retraité, donc un homme âgé - qui a perdu de surcroît les économies de toute une vie – ruiné par des truands (allez disons le, par des ivoiriens). L’addition est bien salée. Le traitement de cette douloureuse actualité est sans équivoque et renvoie un message émotionnel fort avec des conséquences incalculables ; d’abord sur l’image de marque de notre pays et ensuite pour chacun de nous.

Aussi, je n’ose pas croire que de pays du cacao la Côte d’Ivoire est allègrement en passe de devenir le pays de la cybercriminalité. Je n’ose pas croire non plus que chacun de nous puisse être dorénavant indistinctement « blacklistés », car ivoiriens. Je n’ose pas croire enfin, qu’à force de se convaincre que le mental de nos éléphants footballeurs est faible, ce trait de caractère puisse être associé à tout ivoirien.

L’assertion suivante s’impose donc à nous : un pays est une marque. Une marque avec des valeurs tangibles et intangibles. De ce fait, à la Côte d’Ivoire sont associés des histoires, des imaginaires, des traits de personnalité, des compétences clés, des réalisations, etc.

Alors question : que reste-il aujourd’hui du goodwill de la marque Côte d’Ivoire ? N’est-il pas temps de rappeler nos produits défectueux et d’exporter nos produits phares : « notre savoir-faire », « nos traditions positives », « notre gastronomie », « notre hospitalité », « notre cinéma » ? Ainsi, chacune de nos actions positive en Côte d’Ivoire ou à l’étranger participera de la construction de la marque Côte d’Ivoire. Car chaque détail ou action apparemment insignifiante compte. Voyons grand en libérant nos énergies ! Voyons juste en agissant dans chaque détail ! Voyons bien en pensant pays plutôt qu’individu !

Comme aimait à le répéter mon professeur sur le campus de Jouy-en-Josas : « le diable est dans les détails.»

lundi 1 mars 2010

De Samouraï à Kamikaze


Au cours des années 80 un vent d’innovation managériale, qui soufflait du pays du soleil levant, a touché toute la planète entreprise. C’était l’époque glorieuse pendant laquelle les dogmes nippons se vendaient si bien : conférences, experts en tout genre, team building pour les employés, reformatage psychologique des cadres (futurs Samouraïs à la sauce occidentale). Ce modèle se consolidait autour d’un consensus scientifique, montrant la supériorité du modèle japonais sur le modèle occidental. Il s’appuyait sur un dogme: la stabilité du pacte social et des relations salariales. Il a ainsi inondé le monde occidental à tel enseigne que les décideurs économiques effectuaient régulièrement des « pèlerinages » dans les entreprises nipponnes afin de s’inspirer de leur best practices. L’employé resté sur son site de production de Noisy-le-Sec* était également de la fête.

Les fruits de ce modèle étaient savoureux. Il se déclinait à volonté. Ses références ne manquaient pas : fort sentiment d’attachement des employés à l’entreprise - échec de l’entreprise vécu comme un « drame familial » - sacrifices largement acceptés et valorisés…Vive les Samouraïs !

La planète entreprise n’était-elle pas en train de promouvoir une osmose illusoire, un pacte de stabilité de dupe ?

Toujours est-il que de Harvard à HEC en passant par Oxford, l’ensemble des théories et leurs évolutions, tel un virus informatique, s’est propagé sur la toile cérébrale des managers et futurs managers.

Puis vint l’ère de la financiarisation croissante de l’économie mondiale. Vous avez dit « fonds spéculatifs ? », « rentabilité financière à court terme ?», « bonus trader et bonus dirigeants ?», « délocalisation ? » ; et l’ouvrier Dupond de se plaindre « nous avons contribué à réaliser un bénéfice important l’année dernière et le carnet des commandes est plein…nous ne comprenons pas les suppressions d’emplois et la probable délocalisation de notre usine sur un autre continent ». Le pacte social a volé en éclat et la rentabilité économique n’est malheureusement pas synonyme de rentabilité financière.

Le prisme utilisé par les différentes parties ne renvoie évidemment plus la même réalité. Oublié que dans le domaine économique et financier la stabilité est bien relative. Oublié également que ramener uniquement les fruits du potager nippon ne signifie pas que l’on connaisse véritablement comment ce potager est cultivé.

Alors, l’heure est à la séquestration des patrons par les ouvriers, aux menaces des employés de se faire sauter avec leur usine à l’aide de bombonnes de gaz. Il y a effectivement de l’eau dans le gaz ! Et le drame se vit quotidiennement bien loin de Wall Street et des impératifs du Dow Jones ou du CAC 40.

Le Samouraï désabusé s’est-il transformé inexorablement en Kamikaze ?

Banzai* !

*Noisy-le-Sec est une ville française située dans le département de la Seine-Saint-Denis, région Île-de-France.
*Banzai servit de cri de combat aux soldats japonais et en particulier aux kamikazes qui le criaient avant de s'écraser sur les bateaux ennemis